Les marraines de guerre

En 1914, la guerre devait être courte, les soldats devaient revenir vite dans leur foyer. Rien n’était alors véritablement prévu pour les soutenir moralement, mis à part les lettres personnelles qu’ils recevaient régulièrement. Cependant, certains soldats étaient envoyés loin de leur famille, ou n’avaient pas de femmes à qui penser et à qui écrire. Il n’y aura pas de permissions avant l’été 1915, et seul sur le front et sans distraction, le moral des combattants était au plus bas. C’est donc pour ces soldats que l’on imagine l’idée des marraines de guerre au début de l’année 1915.

(ADIV -105 J 9_4)

Une oeuvre “hautement morale et patriotique” …

Les marraines de guerre ont en effet été créés en janvier 1915. La première association s’appelait « La famille du soldat ». Elle a d’abord eu pour but d’apporter chaleur et affection aux soldats isolés, sans famille ou originaires des départements envahis.
Au début, les premières œuvres sont “hautement morales et patriotiques, dirigées par des dames patronnesses conservatrices qui veulent rappeler que les Français forment une famille solidaire et unie” . Des jeunes filles de bonne famille y participent et c’est véritablement dans un but patriotique que les marraines écrivent au soldats isolés. Les marraines sont considérées comme des mères ou des sœurs apportant un soutien moral au soldat.

Ce système se reproduit même à l’usine, puisque des ouvrières de fournitures de guerre glissent parfois des petits mots dans les casques des soldats!

transformée en “courrier du cœur”  mal vue par la population

Devant l’ampleur et la publicité faite dans la presse , très vite, comme le souligne Jean-Yves Le Naour, “les marraines de guerre sortent du cadre moral qui avait présidé à leur fondation. Le bouleversement est de trois ordres : non seulement le « marrainage » s’étend très largement au-delà des soldats privés de famille et échappe au contrôle des œuvres fondées en 1915, mais il se transforme en un flirt épistolaire, une relation sentimentale entre jeunes hommes et jeunes femmes.”

En effet, on assiste à un “glissement du patriotique vers le sentimental” dès 1915 et les marraines deviennent souvent des amantes épistolaires. Le journal L’écho de Paris ou les revues légères La Vie Parisienne et Fantasio relayent les demandes des poilus et les mettent en relation avec leurs marraines.

La société n’accepte pas ces femmes qui correspondent avec des hommes qu’elles ne connaissent pas, et pour certains “pères-la-pudeur”, “la marraine de guerre devient alors un péril social scandaleux, le reflet du délabrement des mœurs”. Les marraines sont donc accusées d’être des opportunistes, “des vieilles filles qui se lancent dans le jeu de la séduction en profitant des circonstances”.

 … et par les militaires

L’armée n’apprécie guère l’initiative du “marrainage” . Elle redoute en effet que “des espions ne se glissent dans la peau des correspondantes pour tester le moral des soldats, connaître le déplacement des troupes, les préparatifs en cours et d’autres informations qui pourraient être utiles à l’ennemi.”

Le journal conservateur L’intransigeant va même jusqu’à penser que l’échec de l’offensive du Chemin des Dames en avril 1917 est due aux “petites annonces “pornographiques” derrières lesquelles se dissimule l’espionnage allemand”

Peut être, comme le suggère Jean-Yves Le Naour, que la marraine de guerre “fait peur aux militaires et aux moralistes parce qu’elle incarne la libéralisation des moeurs” durant la guerre, et qu’elle s’incarne véritablement sous la forme de ces petites annonces. Pire que ça, ajoute-t-il, “l’existence de la marraine rappelle que les héros sont des êtres de chair et de sang, qu’ils souffrent et ont besoin d’affection, qu’ils sont fragiles et malheureux”. Homme affaiblit qui est donc bien loin de la figure du héros que dépeint la propagande !

Ces courriers du cœur ont eu tout de même le mérite d’exister et d’ apporter un peu de douceur et de distraction aux soldats. Ils déboucheront d’ailleurs sur plusieurs mariages, comme on peut le voir dans le docgame.

SOURCES
BEZIAT, Fabien , NANCY Hugues, Elles étaient en guerre, 2015. Documentaire.

LE NAOUR, Jean-Yves. Les marraines de guerre. “Les chemins de la Mémoire n° 181” – mars 2008. [En ligne] http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/les-marraines-de-guerre.
BEZIAT, Fabien , NANCY Hugues, Elles étaient en guerre, 2015. Documentaire.

Entretien avec Claudia Sachet.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *