Dans le contexte d’avant-guerre, on assiste à une certaine prise de conscience politique générale sur la condition des femmes et à des débuts de revendication de leurs droits . Cependant, dans les milieux ruraux, c’est toujours une conception plus traditionnelle de la famille qui prévaut : le départ des hommes au front fut alors vécu comme un double drame pour ces femmes qui, pour beaucoup, se retrouvent face à des responsabilités professionnelles qu’elles n’ont jamais eues à exercer auparavant.
Les histoires évoquées par l’ouvrage « Hommes et femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre », racontent le sort de ces femmes ; Qu’elles soient issues de milieux ruraux comme Anne-Marie Gigon de La Mézière qui gérera la ferme familiale, ou plus bourgeois comme Armandine qui écrit régulièrement à son mari Armand, qu’elles soient infirmières ou ouvrières dans les usines d’armement, la vie à l’arrière comporta également son lot de souffrances pour ces “héroïnes du front domestique” .
Travail et ressources
Hommes partis au front, privations dues à l’effort de guerre : la vie est dure pour les populations de l’arrière. Les femmes se retrouvent souvent seules, obligées de remplacer aux champs leurs maris ou de chercher du travail pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Dans les cartes postales et affiches de propagande, ces femmes fidèles qui n’hésitent pas à travailler tout en prenant soin du foyer sont mises en avant. Ouvrière d’usine de guerre, paysanne dans un champ, femme qui allaite son nourrisson : ces trois principales figures féminines mises en avant par la propagande peuvent être aussi complétées par celle de “l’Ange Blanc” qui soignera les blessés.
Les infirmières
L’infirmière tout d’abord, cet “Ange Blanc” qui soigne, rassure et materne les blessés dans les hôpitaux est très présent dans la ville de Rennes puisque sont ici évacués de nombreux soldats. Ce fût le cas partout dans l’Ouest de la France et dans les départements de l’Arrière car le service de santé de l’armée a très vite été dépassé sur le front.
La Croix Rouge déploiera alors 23 000 infirmières grâce aux dons des français de l’arrière.
Par exemple, six hôpitaux supplémentaires seront mis en place au début de la guerre dans l’arrière pays malouin par le service santé militaire et par la Croix Rouge .
De nombreuses femmes s’engageront alors dans les hôpitaux, comme c’est le cas pour Marie. “Se côtoient donc bénévoles, volontaires et professionnels dans de nombreux établissements de soin” , parfois ouverts dans des demeures privées.
Les médecins s’appuieront beaucoup sur les infirmières, dont le rôle n’a jamais été aussi important.
Louise Bodin, dont nous avons parlé dans un précédent article, est l’une d’elles.
Autre personnalité qui oeuvrera sur le front, Marie Curie. Elle est déjà une personnalité scientifique, puisqu’elle a déjà reçu deux prix Nobel. Convaincue de l’importance des rayons X dans la médecine de guerre (pour repérer les corps étrangers comme les balles dans le corps, ou détecter une fracture) , elle mettra en place une flotille de voitures radiologiques qui oeuvreront dans les zones de combat. Ces “petites Curies” permettront ainsi de se rendre directement auprès des blessés sans avoir à les déplacer. Un des personnages féminin en fera d’ailleurs la rencontre.
Les femmes cultivatrices
Comment nourrir l’armée si il n’y a personne pour terminer les moissons ? Le gouvernement français lance un appel aux femmes et aux enfants pour se mettre aux travaux des champs et produire du blé. En effet, après les moissons d’ août 1914, le manque de chevaux et de boeufs (réquisitionnés par l’Armée) poussera les femmes à tirer elles même la charrue.
Certaines, comme Anne-Marie tiennent donc la ferme pour remplacer leur mari. Elles reçoivent de l’aide de leurs voisins, de leurs parents, mais aussi du mari lorsqu’il revient en permission (on le retrouve dans les lettres d’Anne-Marie Gigon de La Mézière à son mari Jean-Marie Auffray ). Elle lui demande aussi des conseils concernant les semis, ou l’informe des prix du marché. Cependant, le manque de main d’oeuvre reste un problème majeur : certains travaux prennent donc du retard. Les journées de dur labeur sont longues, sur des travaux que les femmes ne connaissent souvent pas.

(Lettre écrite par Anne-Marie Gigon à son époux le 25 mai 1916. Coll.Part. Reproduction interdite sans autorisation)
Les femmes à l’usine
“La loi du 5 août 1914 prévoit un soutien de 1.25 frcs. par jour plus 50 cts par enfant” mais la vie est trop chère : “un kilo de viande coûte au moins 1.5 frcs, le pain 40 centimes, etc.”.
L’allocation a donc été “revalorisée en 1917 et portée à 1.50 F avec 1 F supplémentaire par enfant”. Elle ne peut cependant pas “remplacer un salaire avec lequel elle est d’ailleurs compatible si le gain journalier est inférieur à 5F”
Ce n’est cependant pas suffisant. Ainsi, beaucoup de femmes se font employer dans les usines.
Cependant, trouver un emploi n’est pas facile car de nombreux industriels préfèrent baisser la production, fermer leurs usines ou augmenter les heures de travail des ouvriers disponibles plutôt que d’employer des femmes. A cause de la pénurie de main d’oeuvre, les femmes sont cependant employées “un peu partout”, et notamment dans les entreprises soutenant l’effort de guerre (“l’entreprise Daisey, par exemple, située boulevard de Chézy à Rennes, et qui fabrique des fournitures militaires, emploie plus de 1100 personnes dont 845 femmes en août 1918”. C’est aujourd’hui l’école d’architecture de Bretagne ).
Tandis qu’à Paris les ouvrières cherchent à se faire embaucher par la nouvelle usine de munitions Citroën qui offre des avantages à ses employées tels qu’une crèche pour les enfants et des repas complet bienvenus en temps de rationnement, à Rennes, le plus grand employeur est l’Arsenal.
En effet, le grand atelier de la Courrouze, créé en 1910 “prend de l’ampleur pendant la guerre puisqu’en 1918, 18000 personnes dont 5100 femmes y sont salariées ” devient un centre de réfection des douilles où les douilles ramassées sur le front sont remises en état par des femmes appelées les munitionnettes.
L’Arsenal subira toutefois un drame en 1917, puisque le 1er février, une explosion coûtera la vie à 7 personnes. Au total, 28 personnes seront touchées, vingt femmes et huit hommes.

(Ouvrières de l’Arsenal posant au milieu de douilles déjà utilisées qu’elles étaient chargées de trier avant de les recharger. Musée de Bretagne )
Dans certains secteurs, les femmes occupent même des postes jusqu’à là réservés aux hommes, qui parfois se révoltent: “en août 1917, des ouvriers et ouvrières d‘une fabrique de chaussures se mettent en grève suite à l’initiative d’un fabriquant qui veut former, pour un salaire identique, 18 femmes au métier de “maillocheurs” qui est strictement masculin avant la guerre ”.
Globalement, les salaires augmentent, même s’ ils ne servent finalement qu’à suivre la hausse des prix. Mais “les salaires féminins demeurent globalement inférieur à ceux des hommes : de 50% dans la chaussure , de 75% dans les usines de guerre” .
Les conditions de travail sont également dures: à l’Arsenal, les femmes travaillent parfois jour et nuit en équipe tournante pour soutenir l’effort de guerre. Beaucoup de femmes qui travaillent en usine sont sujettes à des maladies.
De plus, la garde des enfants n’est souvent pas compatible avec le travail à l’usine et les enfants sont souvent confiés à des nourrices ou à de la famille à la campagne.
Cette accumulation de difficultés provoque des grèves: en effet, “la première grande grève de femmes éclate à la chemiserie Strauss en juillet 1915, lorsque des ouvrières demandent le maintien de la journée de 10 heures” . Les contestation prennent de l’ampleur en 1917. Elles sont parfois mixtes, mais 5 contestations sont strictement féminines. Une autre grande grève, celle de 1917 à l’Arsenal : plus de 4500 femmes réclament des augmentations de salaire , “l’application de la semaine anglaise (= samedi après midi congé et payé) et affirment leurs griefs “contre l’attitude de certains officiers et chefs d’équipe jugés incompétents ou insolents vis à vis du personnel féminin ”, le tout dans un contexte tendu de hausse de prix et de pénuries.
Les femmes employées dans les administrations
Le nombre d’employés féminin à la préfecture d’Ille-et-Vilaine passe de 4 à 28. Les femmes, souvent d’un milieu modeste et munies du brevet élémentaire ou simplement du certificat d’études occupent souvent le poste d’auxiliaires ou effectuent des travaux d’écriture (pour celles qui ont des compétence en sténodactylographie ) .
Dans le jeu, un des personnages féminin occupera le poste d’assistante receveuse au télégraphe.
Les femmes de fonctionnaires et de certains employés de banque seront souvent privilégiées puisqu’elles continueront à toucher tout ou partie du salaire de leur mari.
Les femmes dans l’enseignement
Grande nouveauté de la guerre, un très grand nombre de femmes enseigneront dans les classes masculines à la place des instituteurs partis au front. Elles participent aussi de plus en plus à la vie du village, comme le faisaient leurs collègues masculins : fonction de secrétaire de mairie, oeuvre de bienfaisance, etc.
Pour l’année scolaire 1914-1915 (en Ille-et-Vilaine), on comptait 743 femmes pour 349 hommes dans les écoles primaires publiques.
Les relations avec les soldats et les permissions
On comprend beaucoup le quotidien des femmes à travers leurs lettres où elles racontent la vie à l’arrière. Ces lettres comportent peu de lignes sur l’actualité mais racontent souvent en détail la vie de leur foyer et les femmes continuent de demander des conseils à leur mari sur la vie professionnelle. Elles sont cependant conscientes de la censure qui opèrent dans leur courrier, comme le fait par exemple remarquer une des filles dans le jeu.
Les femmes envoient souvent des colis: Anne-Marie, à la ferme, envoie régulièrement du beurre et du chocolat, pour Armandine ce sera régulièrement du “poulet rôti, de la charcuterie ou encore des petits cadeaux tels qu’un obus rempli de parfum”. Les poilus renvoient également des petits cadeaux fabriqués avec les objets du front.

(Le départ et le retour du permissionnaire. Dessins d’Ernest Gabard. Tous droits réservés. Musée de Bretagne et coll.part.)
À partir de l’été 1915 sont instaurées les permissions. Les poilus rentrent alors voir leur famille après “4 à 6 mois de séparation en moyenne, parfois beaucoup plus” . C’est aussi l’occasion de faire passer des messages ou des colis aux familles des camarades restés au front.
Les femmes les plus riches montent parfois au front, comme le fera Armandine ou une de nos héroïnes.
L’après guerre et les changements
À Rennes, les ouvrières de l’Arsenal perdent pour beaucoup leur travail dès 1918. Le personnel féminin de l’administration est aussi en partie débauché .
Cependant, une modernisation a bien eu lien en ce qui concerne la professionnalisation des femmes puisqu’ aucune femme ne travaillait dans le tertiaire en 1913, on en comptera 38 en 1921.
À première vue on retient une émancipation des femmes durant la Grande Guerre. En effet, de nombreuses femmes ont été contraintes, en l’absence de leur maris, de gérer leur famille tout en travaillant et se sont donc émancipées financièrement et professionnellement. C’est ainsi qu’après la guerre, l’enseignement pour les filles s’est généralisé, de nombreux postes se sont crées dans le secteur tertiaire: commerce, banque, social…. L’ouverture aux métiers qualifiés pour les femmes s’est en effet faite avec, dans un premier temps la création du baccalauréat pour les femmes en 1919, puis l’uniformisation des programmes scolaires entre garçons et filles en 1924, et donc l’équivalence entre les baccalauréats féminins et masculins.
Cependant, le débat est toujours ouvert puisque, on l’a vu, les femmes ont souvent eu un rôle important durant la guerre. Toutefois, elles ont souvent été reléguées au second plan dès l’armistice, reprenant leur “rôle” de femme et de mère pour repeupler la France. Comme le souligne Françoise Thébaud , “Plus brutale que la démobilisation militaire, la démobilisation des femmes marque la volonté d’un retour à la normale, c’est-à-dire à la situation antérieure, même si cela est impossible avec 1,4 million de militaires morts, soit plus de 10% de la population active masculine de 1914, sans compter les blessés et les mutilés.” De plus, on dit souvent que la guerre a stoppé la dynamique du droit de vote des femmes dans son élan , puisqu’après une active campagne des suffragettes
depuis plusieurs années, les femmes espéraient voter aux élections municipales de 1916.
Les femmes ne pourront finalement voter qu’en 1944.
Pour approfondir
Dossier de l’INA, les femmes pendant la guerre 1914-1918
Dossier sur le site du centenaire de la Grande Guerre du Haut-Limousin
SOURCES
BEZIAT, Fabien , NANCY Hugues, Elles étaient en guerre, 2015.
BONNIEL Marie-Aude, “Marie Curie, la radiologie et la Grande Guerre (1914)”. Lefigaro.fr. 29/10/2014. [En ligne] http://www.lefigaro.fr/histoire/centenaire-14-18/2014/10/29/26002-20141029ARTFIG00084-marie-curie-la-radiologie-et-la-grande-guerre-1914.php
COCAUD, Martine. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Infirmière, cultivatrice ou munitionnette : les femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre”, Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
France TV éducation et TV5 Monde. “La grande guerre à travers les arts”. Webdocumentaire. [En ligne] http://guerre-14-18-arts.francetveducation.fr/#!/l-autre-et-l-ennemi/la-force-noire/la-force-noire
INSEE. Quelques dates dans l’Histoire des femmes. [En ligne] http://www.insee.fr/fr/insee_regions/bourgogne/themes/dossiers/dates_femmes.pdf
LONGEARD, Gwladys. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “ “Sel d’espion, sel d’Epsom”, un faux docteur à Vitré ”. Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
SACHET, Claudia. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Un hôpital temporaire dans la tourmente: l’hôpital auxiliaire 103 de Meillac en 1914”. Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
THÉBAUD Françoise, “L’émancipation des femmes dans la Grande Guerre”, Revue « Les Chemins de la Mémoire n° 159 » – mars 2006. [En ligne] http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/lemancipation-des-femmes-dans-la-grande-guerre