La guerre a duré beaucoup trop longtemps, sur le front mais aussi à l’arrière. En effet, les populations affaiblies par la hausse des prix, les pénuries et les réquisitions dans les campagnes commençaient aussi à exprimer leur colère et leur ressentiment face à ces difficultés.
La vie quotidienne au front est assez bien connue, grâce aux écrits des soldats et aux journaux de marche et d’opérations tenus par l’armée. La vie à l’arrière l’est moins. On la connaît cependant par l’existence d’écrits, des instituteurs ou maires qu’ ont recueillis les Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine . Les mémoires de Jean Janvier, alors maire de Rennes ou celles de Georges Garreau, maire de Vitré sont des témoignages particulièrement utiles pour les historiens afin de comprendre et tenter de reconstituer la vie à l’arrière .
Intéressons nous de plus près au quotidien de l’arrière en Ille-et-Vilaine (qui est le même dans la plupart des régions françaises en dehors du Front) durant la Grande Guerre.
Le quotidien à l’arrière : hausse des prix et pénuries
La hausse des prix et la multiplication des vols
Pour soutenir l’effort de guerre, les populations rurales et notamment les familles dans les fermes doivent faire face aux réquisitions, tandis que celles vivant en ville où les femmes travaillent à l’usine ou dans l’administration sont d’autant plus soumises à la hausse des prix pour se nourrir.
Pour les femmes qui ne travaillent pas, l’allocation n’est souvent pas suffisante et l’on constate ainsi une augmentation générale des vols de 1915 à 1918. Selon Martine Cocaud, Enseignant-chercheur à l’Université Rennes 2, “au fil des années, les voleuses attestent le plus souvent d’un métier, d’un domicile, mais elles déclarent ne pas réussir à équilibrer leur budget et avoir recours aux rapines ”.
L’ouvrage « Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande guerre » rapporte ainsi l’anecdote de la petite Ernestine, 10 ans, arrêtée pour avoir volé des fagots de bois pour se chauffer, tandis que son père est au front ; une anecdote de ce type est d’ailleurs évoquée dans le docgame « Classe 1914 ».
En ville, la garde des enfants et la cuisine occupent les femmes le reste du temps, avec des conditions de vie de plus en plus difficiles qui se traduisent aussi à la campagne où les femmes remplacent leurs maris aux travaux des champs .
Pénuries et révoltes
D’importantes pénuries de sel, sucre, gaz, charbon et pétrole font souffrir les populations à partir de 1917 .
Fatiguées de ces conditions de vie, les femmes rennaises se réuniront dans une manifestation en juin 1917 et crieront dans la rue “C’est nos maris qu’ il nous faut” !
Difficultés renforcées par les réquisitions dans les campagnes
Céréales, chevaux et boeufs, de nombreuses ressources produites dans les campagnes sont réquisitionnées par l’armée. En territoire occupé, les Allemands prélèveront l’essentiel des ressources et de la main d’oeuvre dont ils ont besoin et toute résistance donnera souvent lieu à de “sévères sanctions – exécutions sommaires ou amendes élevées”. “L’objectif de l’occupant” étant, selon Alain Galoin, “de faire des exemples pour s’assurer la coopération docile des habitants” . En Ille-et-Vilaine, territoire de l’arrière, les populations auront à faire aux autorités françaises.
Les commissions de réception
Lorsque la guerre éclate, des lois datant de 1877 prévoient déjà une réglementation concernant les réquisitions. Ce sont les lois du 3 juillet 1877 sur les réquisitions militaires et le décret du 2 août 1877.
D’un point de vue pratique, des exercices grandeur nature ont eu lieu avant le conflit, “permettant de tester les capacités des (…) commissions de ravitaillement mise en place en Ille-et-Vilaine” . Diverses lois viendront ensuite renforcer la législation de 1877 .
Des commissions de réceptions sont alors chargées de la réquisition “pour le compte des armées” et “fonctionnent sous la direction des autorités militaires”. Il y en aura quatorze en Ille-et-Vilaine, “chargées de récupérer chevaux, avoine, blé, foin, bétail”. Cependant, ces commissions fonctionnent mal et on compte des irrégularités dans leur fonctionnement.
Elles travaillent en collaboration avec les municipalités. Les maires tiennent alors des registres afin de déclarer les ressources dont disposent les habitants afin de remédier aux irrégularités des statistiques agricoles et mieux prendre en compte les situations individuelles.
Mais, d’après les sources connues, que ce soit la correspondances, les écrits des maires, la presse ou des sources judiciaires, les réquisitions sont mal perçues par la population.
Des réquisitions qui mettent en difficulté les populations
En effet, les demandes des autorités étaient si importantes que “l’on en arrive ponctuellement à des situations ubuesques: certains cultivateurs sont contraints d’acheter des denrées sur le marché libre pour faire face aux demandes des autorités” .
Les prix auxquels sont achetées les denrées, mais aussi les conditions de transport et de conservation (Le maire de Lanrigan évoque une livraison de pommes de terres gaspillées car abandonnées à la gare de Combourg et menaçant de geler) posent problèmes, et tous ces éléments conduisent à “une évolution des formes de contestation à compter de 1916”.
Dans le docgame, ces réquisitions sont souvent évoquées par un des personnages féminin (dans le cas où elle reste à la ferme) puisqu’elle doit donner son cheval et le fruit de ses moissons.
Des révoltes et dénonciations
Les maires prennent alors la parole au nom de leurs concitoyens pour protester devant les conditions de réquisitions devant le préfet ou l’intendant . La plupart du temps, les deux parties arrivent à une conciliation, mais parfois certaines affaires se finissent au tribunal correctionnel. L’issue des procès n’est cependant “pas toujours défavorable aux plaignants, contrairement à ce que l’on pourrait penser” : parfois ils sont reconnus comme trop âgés ou ne possédant simplement pas la quantité de vivres ou de foins qu’on leur demande de fournir. De temps en temps, certains plaignants sont cependant condamnés à une amende, souvent minorée.
En 1917, le ton change. En effet, selon Eric Joret, conservateur du Patrimoine aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, “la situation militaire sur le front tout comme la dégradation de la situation économique à l’arrière rendent intolérables les oppositions aux réquisitions” et les condamnations se font plus nombreuses. Il semblerait en effet que la sévérité des autorités se calque sur la situation militaire au front.
Parfois, des dénonciations ont lieu pour ceux qui n’ont pas donné assez : sentiment d’injustice de certaines familles qui donnent plus. L’ouvrage « Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine durant la Grande guerre » donne l’exemple d’une lettre datant du 21 juillet 1918, conservée par les services de la préfecture. Elle donne une liste détaillée de ceux qui cachent leurs foins ; pourtant, elle fût inutile, son auteur ayant oublié d’indiquer le nom de la commune visée!
Solution: les patates de Jean Janvier
Suite à la hausse du prix des pommes de terre en Ille-et-Vilaine, le maire Jean Janvier décide de planter sur les terres communales des légumes, et notamment des pommes de terre sur les pelouses du Thabor (jardin public rennais) . Les employés municipaux travaillant dans le potager sont dédommagés avec quelques kilos de patates et la récolte restante servira à alimenter les cantines, soupes populaires et autres œuvres en faveur des réfugiés.
Cette logique de municipalisation des denrées se poursuivra avec la création d’une boucherie municipale, d’une boulangerie et d’une laiterie.
Ce “modèle rennais”, note Eric Joret, sera “salué sur le plan national par la presse et les politiques”.

(Affiche de guerre « semez des Pommes de terre. Pour les soldats.Pour la France ». Hauton illustrateur [1915]. ADIV 42 Fi fonds Jannin )
Dans le jeu, un des personnage participera en tant que bénévole à ce ravitaillement gratuit.
C’est donc avec soulagement que les populations de l’arrière verront la fin de la guerre, avec le retour des hommes du front mais aussi l’arrêt des réquisitions systématiques.
Cependant, la loi du 23 octobre 1919 “a maintenu en vigueur jusqu’au 15 août 1920 les lois relatives au ravitaillement national”. La circulaire du 27 novembre 1919 insiste toutefois sur le “caractère dorénavant tout à fait exceptionnel” des réquisitions. C’est ici que “l’état de guerre prend véritablement fin” d’après Eric Joret,.
SOURCES:
Les mémoires de Georges Garreau, maire de Vitré, sont conservée aux Archives municipales de Vitré
Jean Janvier (préf. Edmond Hervé), Quelques souvenirs, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Mémoire commune », , 339 p. (ISBN 978-2-86847-550-3, présentation en ligne)
COCAUD, Martine. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Infirmière, cultivatrice ou munitionnette : les femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre”, Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
GALOIN, Alain. Les conditions de vie des civils pendant la guerre 14-18. L’Histoire par l’image. [En ligne] http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=706#sthash.MMYyhnnx.dpuf
JORET, Eric. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Les réquisitionnés au tribunal: un révélateur des tensions dans les campagnes de l’arrière”, Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
JORET, Eric. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Réquisitions et ravitaillement: une multitude de lois de circonstances”. Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
JORET, Eric. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Veaux, vaches, cochons et réquisitions: les ressources “réquisitionnables” , Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
JORET, Eric. (2015), L’effort de guerre crée des tensions à l’arrière, Ouest France Hors Série. p6
LAGADEC, Yann. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Les ‘patates municipales’ de Jean Janvier”, Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
SACHET, Claudia. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Dire la guerre, la sensibilité des témoins de l’arrière”. Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
SACHET, Claudia. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Des commissions de réception au fonctionnement chaotique et contesté”, Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.