Le 11 novembre 1918, les soldats apprennent la nouvelle de l’armistice. Malgré les explosions de joie que l’on peut imaginer, il faut savoir que sur le plan juridique, le 11 novembre n’était qu’un cessez-le-feu provisoire. La guerre ne s’acheva véritablement qu’avec la signature du traité de Versailles en juin 1919.
La démobilisation et les célébrations
La démobilisation des soldats
Durant cette période de “flou”, les combats s’arrêtèrent mais beaucoup de soldats restèrent retranchés dans des camps, en attendant d’être démobilisés. Ce fût le cas du 41ème RI, qui resta cantonné au camps de Baccarat durant 10 mois après l’Armistice. Erwann Le Gall, Historien, souligne tout de même que ce ne fût pas “de tout repos” mais plutôt une “succession de périodes d’instructions et de manœuvres, interrompues seulement, le 6 novembre 1918, par la remise de la fourragère à l’unité par le général de Castelnau”.
Pendant ces longs mois, les soldats encore en service nettoient et vérifient le matériel, neutralisent les obus et déterrent les corps “pour les inhumer dans des cimetières spécialement créés alors dans l’ancienne zone des armées”. En effet, à partir de mars 1921 et pendant deux ans, des corps sont rendus aux frais de l’Etat aux familles qui le souhaitent pour être inhumés dans le cimetière familial (environ 1 500 en Ille-et-Vilaine). “Mais dès 1919” souligne Claudia Sachet, “il y a des exhumations clandestines ; clandestines car l’Armée contrôle encore ces zones et ces corps. C’est donc parfois un marché fructueux avec les erreurs qu’on imagine.” (à revoir)
Les cérémonies de retour
À l’été 1919, 10 mois après l’armistice, le 41ème régiment d’infanterie entre enfin en gare de Rennes. Leur retour est célébré par de grandioses manifestations militaires longuement préparées .
Ce n’est cependant pas le cas de tous les régiments, car de nombreux soldats démobilisés au printemps 1919 sont déjà rentrés dans leurs foyers, et ce, comme le souligne Erwan Le Gall, “dans une assez large indifférence officielle” . De même, certains régiments crées au cours de la guerre sont privés de “retour” officiels.
Cependant, comme certains des personnages le soulignent, ces célébrations ne sont pas toujours bien vécues par les soldats, écoeurés de la dimension patriotique qui subsiste encore après quatre années de longue et sanglante guerre. En outre, ces célébrations ne concernent pas tout le monde car beaucoup de familles ont perdu leur proche durant la guerre et n’y participent naturellement pas.
L’image des célébrations festives promut par l’imagerie d’Epinal semble tronquée.
Le difficile retour à la vie normale
Le retour des soldats
“Nombreux sont les témoignages de ces enfants ou petits-enfants de poilus d’Ille-et-Vilaine rapportant combien il fut longtemps difficile à ceux qui connurent l’expérience des tranchées d’en parler” … En effet, les soldats sont souvent traumatisés et cauchemars ou troubles psychiatriques font souvent partie de leur quotidien d’après-guerre. Les blessés physiques, et notamment les mutilés de la face sont nombreux.
Léon Thébault par exemple, perd la vue et une partie de l’ouïe, touché par un éclat d’obus durant la guerre. Après deux ans de rééducation à l’école supérieure de Neuilly-sur-Seine, il est fait Chevalier de la Légion d’honneur, obtient une licence de droit et entame une grande carrière au sein du barreau de Rennes puis devient maire de Janzé, conseiller général et député et délégué à la Société des Nations de Genêve.

(Vinyl 33 tours sur lequel Léon Thébault enregistra en 1970 son témoignage de poilu avec le concours de Madame Souet, prof.d’histoire au collège public de Janzé )
Hélas, tous les mutilés de guerre n’auront pas le même destin, et le désespoir emporte parfois les anciens poilus parfois rejetés par la société, comme c’est le cas de Fernand, que l’on peut croiser dans le jeu.
Des couples bouleversés
Dès 1916, Armandine prend conscience des difficultés qu’auront les couples après la guerre. Elle écrit à Armand :
“ Tu crois que la guerre fera de mauvais ménages. Je suis de ton avis car certains de ces messieurs après avoir fait de hauts exploits, voudront passer pour des dieux et leur demander des humiliations et trop d’obéissance. Car enfin, parce que ces hommes ont fait la guerre, ce n’est pas une raison pour que les femmes soient leurs esclaves. Les hommes font la guerre matériellement, les femmes la font moralement”.
En effet, un fossé s’est creusé entre hommes et femmes: les hommes sont traumatisés, et la France en appelle à la figure du héros, tandis que les femmes, dont le rôle fût tout aussi important, retrouvent bien vite leurs place de femme au foyer. En 1918, la société française revient ainsi à la ligne de partage traditionnel entre les sexes.
De plus, la guerre qui avait incité le dévoilement des sentiments par lettre, contraste avec le retour des hommes souvent traumatisés qui ont des difficultés à reprendre une vie conjugale. La relation père / enfants a également changé, le père se trouvant éloigné du foyer pour une certaine période, la femme a souvent pris une autorité qu’elle n’avait pas vis à vis des enfants. Comme le remarque Dominique Fouchard, il s’agit parfois d’une “reconfiguration familiale que le retour des pères ne peut si aisément gommer” .
La situation des femmes
Les acquis des femmes
Durant la guerre, les femmes ont pris aussi pris plus d’importance professionnellement, et certains de ces acquis sont reconnus. Par exemple, en 1920 les femmes obtiennent le droit de se syndiquer sans la permission de leur mari.
De plus, avec la guerre, de nombreuses femmes passent leur “certificat de capacité”, c’est à dire leur permis de conduire : en effet, avec les restrictions de guerre, il était demandé un usage strictement professionnel pour passer le permis de conduire. Les femmes remplaçant souvent les hommes à cette période, elles passent le permis.
Le recul après la guerre
Cependant, on admet généralement que la guerre a finalement beaucoup stoppé l’entrée dans la vie active des femmes. En effet, l’avant-guerre a été marqué par les revendications féministes pour l’égalité des sexes et pro-vote des suffragettes, mais, malgré le rôle que les femmes, devenues indépendantes par les circonstances, ont joué pendant la guerre, on leur fait comprendre en 1918 que leur place est au foyer.
En effet, en 1918, deux jours après l’armistice, une circulaire a par exemple fortement incité les munitionnettes (anciennement aubaine pour la propagande du gouvernement français) à abandonner l’usine : elles ont eu deux semaines pour partir si elles voulaient une indemnité. De la même façon, les lois de 1920 interdisent la contraception et punissent sévèrement l’avortement afin de repeupler la France
Au delà du retour joyeux des soldats survivants, l’après-guerre voit donc apparaître les souffrances post-traumatiques de beaucoup de ces hommes choqués par l’horreur de la guerre, ce qui influera parfois dans la vie intime de leur foyer. De nombreuses femmes, soudainement devenues indépendantes professionnellement, sont très vite fortement invitées à reprendre leur rôle d’avant-guerre. Leur contribution est ainsi reléguée au second plan et, fait hautement symbolique, elles n’obtiendront le droit de vote que 30 ans plus tard, lors de la fin de la seconde guerre mondiale.
SOURCES
BEZIAT, Fabien , NANCY Hugues, Elles étaient en guerre, 2015. Documentaire.
COCAUD, Martine. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Infirmière, cultivatrice ou munitionnette : les femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre”, Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
FOUCHARD, Dominique. “Les retours à l’intime des soldats après la Grande Guerre”. [En ligne].http://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p2_866923/les-retours-a-lintime-des-soldats-apres-la-grande-guerre (page consultée le 21 août 2015).
LE GALL, Erwan. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : Les régiments d’Infanterie d’Ille-et-Vilaine et l’Armistice. Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
LE GALL, Erwan. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : Le retour des “fils de la vieille terre bretonne”, quand les régiments retrouvent leurs garnisons d’Ille-et-Vilaine à l’été 1919. Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
LE GALL, Erwan, SACHET, Claudia, LAGADEC, Yann. Hommes et Femmes d’Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre : “Le retour à la vie civile des anciens poilus. L’exemple de Léon Thébault, aveugle de guerre”, Rennes : Co-édition Département d’Ille-et-Vilaine et Société Archéologique et Historique d’Ille-et-Vilaine, 2014. 978-2-86035-027-3.
Entretien avec Claudia Sachet.